Deuxième partie : rendre équitable le tourisme

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Chapitre premier : l'expérience du commerce équitable

 

Ce travail se propose de partir de l'expérience du commerce équitable pour tenter de l'appliquer au secteur du tourisme. Pour cette raison, il est indispensable de se pencher sur l'historique du commerce équitable et sur ses principales caractéristiques afin de mieux comprendre quelle est l'importance de ce concept.

Le Commerce Equitable est apparu à la fin du XIXème siècle et s'est développé dans les années 1960 (voir encadré), à partir du constat que l'échange entre les pays du Nord et les pays du Sud était foncièrement injuste. Dès lors, un groupe d'associations non gouvernementales sans cesse plus large s'est attaché à en définir les fondements et à en diffuser le concept afin d'améliorer les termes de l'échange.

L'objectif du Commerce Equitable est de soutenir les efforts des partenaires qui, dans les pays du Sud, luttent pour l'amélioration du niveau de vie et des termes de l'échange et ce, au moyen de la coopération, de la production et du commerce.

 

En 1860, Max Havelaar publie en Hollande un ouvrage dans lequel il dénonce les injustices du commerce du café entre l'Indonésie et les Pays-Bas. C'est de cet ouvrage qu'est né le label de garantie Max Havelaar et le café équitable du même nom, aujourd'hui référencé dans certains supermarchés en Europe. En 1950, le directeur d'Oxfam UK (ONG internationale), en visite à Hong Kong, projette de vendre dans des magasins Oxfam, de l'artisanat fabriqué par des réfugiés chinois. En 1964, Oxfam créé la première organisation de Commerce Equitable. Parallèlement, des initiatives prennent place aux Pays-Bas. En 1967, l'organisation importatrice, S.O.S. Wereldhandel est créée (par la suite elle deviendra Fair Trade Organisation). En 1969, le premier magasin du commerce équitable ouvre ses portes en Europe.

Depuis, le commerce équitable s'est fortement développé. On compte à peu près 70 organisations dans 16 pays d'Europe mais aussi en Australie, au Canada, au Japon et aux Etats Unis. En 1990, L'EFTA (European Fair Trade Association) est créée pour représenter 12 importateurs du commerce équitable soit à peu près 60 % des importations équitables en Europe. Depuis 1970 des magasins ont vu le jour un peu partout. Ils sont plus de 3000 aujourd'hui dans plus de 18 pays européens. 2500 d'entre eux sont représentés dans le Réseau Européen des Magasins du Monde (NEWS!). En 1989, la première Fédération Internationale du Commerce Equitable (IFAT) est créée. Elle rassemble des organisations de commerce équitable d'Afrique, d'Asie, d'Australie, d'Europe, du Japon et d'Amérique du Nord et du Sud. En 1988 un nouveau pas est franchi avec la création du label de garantie Max Havelaar. Désormais, il apparaît que le commerce équitable devra passer par la labellisation. Depuis avril 1997, la labellisation est coordonnées par FLO, l'Organisation Internationale de la Labellisation du commerce équitable. Ce type de labellisation existe dans 12 pays du monde. Aujourd'hui, le commerce équitable représente un marché annuel de vente au détail d'un quart de milliard de dollars et fournit des opportunités de revenus pour presque un demi-million d'artisans et de travailleurs dans le Sud. En Europe, ces produits sont vendus dans 70.000 points de vente et le chiffre d'affaires annuel au détail est de plus de 200 millions d'Euros. Le taux annuel moyen de croissance atteint 5 %. Pour certains produits, le taux de pénétration est très fort : c'est le cas de la banane qui représente 8 % du marché hollandais et 13 % du marché suisse. En Autriche, le café biologique équitable a atteint 70 % du marché du café biologique. (cité dans "Commerce Equitable, le Mémento pour l'An 2000", EFTA, janvier 1998)

 

Son but est d'influencer les pratiques commerciales classiques et en même temps, le comportement des consommateurs afin de stimuler la demande du public pour des produits plus équitables.

Le constat fait par les personnes qui se sont intéressées au commerce équitable est que la mondialisation et la globalisation de l'économie sont caractérisées par une polarisation de plus en plus forte entre les pays riches et les pays pauvres. Face aux pays riches et aux puissantes multinationales, les pays en développement voient parfois leur pouvoir stratégique leur échapper. Les derniers accords du GATT (25), avec la signature de l'Uruguay Round en 1994 et la création dans la foulée de l'OMC n'ont fait que renforcer ces inégalités. Le prix des marchandises ne reflète pas les coûts rééls de production. Les produits sont vendus au prix le plus bas possible, sans tenir compte des conséquences humaines, sociales et écologiques. Les prix devraient refléter le coût du respect des droits des travailleurs sur le lieu de travail et au moins les conventions de base de l'OIT (Organisation Mondiale du Travail) (26). Ce prix devrait également tenir compte d'une production et d'un commerce socialement durable. Il devrait enfin refléter le coût réél pour l'environnement et le coût des moyens qu'il faut développer pour corriger des pratiques parfois désastreuses sur l'équilibre écologique. (27)

En réponse à ces déséquilibres et à ces injustices flagrantes, le commerce équitable se propose de contribuer à la réduction de la pauvreté dans le Sud. Il établit un système de commerce qui permet aux producteurs marginalisés du Sud d'avoir accès aux marchés du Nord. Ce commerce se base sur le savoir-faire des producteurs et permet aux communautés de jouer un rôle actif dans leur propre développement. Dans le même temps, il doit satisfaire à une demande du consommateur du Nord.

Le Commerce Equitable est donc basé sur les principes suivants :

  • Le "juste prix" qui peut prendre la forme d'un surplus payé par le consommateur qui sera employé à développer les infrastructures communautaires, à assurer la protection de l'environnement, à renforcer la formation, à financer les investissements des entreprises n'ayant pas d'accès au crédit
  • Le versement d'une avance de 40 à 50 % à la commande afin de permettre au producteur d'acquérir les matières premières sans s'endetter. Et le paiement à la livraison ou du moins le plus rapidement possible
  • Une relation commerciale durable entre les partenaires du Nord et ceux du Sud c'est à dire le contraire de la pratique du dumping qui consiste à toujours rechercher le moins disant
  • Pas d'intermédiaire ou le moins d'intermédiaires possible. Pas de spéculation.
  • L'activité des partenaires du Sud doit être durable (économiquement, socialement et sur le plan de l'environnement). Elle doit garantir des conditions de travail acceptables et doit contribuer au développement de la communauté
  • Le contrôle de l'activité commerciale, la gestion de la production et le marketing doivent être également répartis entre les partenaires du Nord et ceux du Sud

Pour les organisations et les magasins de commerce équitable, l'absesnce d'un des critères de partenariat n'empêche pas l'adhésion. Les types de producteurs, les produits, les réalités économiques et sociales sont très diversifiés. Chaque groupe de producteurs est traité au cas par cas. Dans le processus de sélection, les producteurs ne doivent pas avoir acquis les critères optimaux dès le départ. Leur volonté de les atteindre et celle du partenaire du Nord de l'aider dans cette évolution sont plus importantes. Cependant, par leur nature, les initiatives de labellisation du commerce équitable doivent garantir aux consommateurs que les critères convenus sont bien respectés. Si un certain degré de souplesse est possible pour refléter la spécificité d'un produit, une fois les critères établis, le producteur doit les atteindre sans exception.

 

Qu'est ce qu'un prix équitable ?

Le prix d'un produit équitable doit pouvoir couvrir tous les coûts de production du produit, incluant les coûts environnementaux et sociaux. Ce prix doit suffire pour fournir aux producteurs un niveau de vie décent et une part d'investissement. Les mouvements de commerce équitable, quant à eux, paient le prix internationl plus une marge supplémentaire. De plus, ils garantissent un prix minimum, quels que soient les caprices du marché.
Le concept d'un échange plus juste entre le Nord et le Sud n'est pas une idée neuve. L'économiste M. Keynes disait déjà en 1940 que "des prix adaptés devraient petre fixés non pas au plus bas possible, mais en fonction des besoins minimaux des producteurs et en fonction de leurs conditions de vie... C'est dans l'intérêt de tous les producteurs que le prix d'un produit ne soit pas en-dessous de ce niveau, et les consommateurs ne devraient pas espérer qu'il le soit."
Un prix équitable pour le producteur n'implique pas toujours un prix plus élevé pour le consommateur. A peu près la moitié des produits équitables sont vendus à un prix comparable à celui du marché. Leur prix concurrentiel est le résultat de deux facteurs : l'éviction des intermédiaires et la contribution inestimable des bénévoles du mouvement. Des enquêtes montrent que le public européen est de plus en plus attentif dans son choix de produits. Ainsi 86 % des consommateurs au Royaume Uni et 72 % des Français seraient prêts à payer un prix plus élevé pour un produit qui reflète un critère qu'ils considèrent comme important. (source : EFTA - étude du CRC Consommation en 1998 dans la région Nord-Pas de Calais sur un échantillon de 525 personnes).

 

 

On le voit, l'application de ces cirtères n'est pas forcément aisée. La notion de juste prix est suffisamment subjective pour que son application pose un certain nombre de difficultés même dans le contexte de production et de commercialisation de produits matériels.

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Dès lors, on imagine aisément la complexité de l'application du concept de commerce équitable au marché du tourisme. En effet, non seulement le tourisme est un ensemble de services immatériels et impalpables et non pas de produits tangibles mais de plus, le consommateur intervient directement dans la production de ces services.

L'application du concept de commerce équitable à ce secteur complexe qu'est le tourisme est la problèmatique sur laquelle nous allons nous pencher dans le reste de cette partie en commençant par rechercher et proposer une définition satisfaisante de ce qu'est le tourisme équitable.

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(25) General Agreement on Tariffs and Trade (Accord Général sur les Tarifs et le Commerce)
(26) Droits de base : la liberté d'association, le droit de s'organiser et de revendication collective, un âge minimum pour le travail des enfants, la non-discrimination dans l'emploi et le métier, un traitement égal des hommes et des femmes, pas de travail forcé, la sécurité et l'hygiène professionnelles. Opus déjà cité EFTA, 1998.
(27) Opus déjà cité, EFTA, 1998.

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