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Troisième partie : les limites du concept

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Chapitre troisième: qui a intérêt à s'opposer au tourisme équitable ?

Il est évident que le concept ne peut satisfaire tout le monde. Certains acteurs peuvent être gênés par cette moralisation, cette transparence des rapports commerciaux dans le tourisme. Nous avons listé les principaux opposants potentiels à ce concept et avons tenté d'évaluer les raisons de leur opposition et les moyens dont ils disposent.

Les autorités tout d'abord peuvent s'avérer être les plus grandes ennemies de ce concept. Dans les pays du Sud tout particulièrement car le concept peut aller à l'encontre du tourisme de masse et du développement touristique que ces pays s'efforcent de mettre en oeuvre pour récupérer les devises nécessaires à l'équilibre de leur balance des paiements. Ou tout simplement à l'encontre des projets de certains officiels locaux.

En effet, si les communautés choisissent de faire du tourisme durable parallèlement à la politique de tourisme de masse de l'Etat, elles risquent de se mettre à dos leurs propres gouvernants, ce qui n'est pas souhaitable. Leur choix risque de mettre en évidence les inconvénients du tourisme de masse. Il peut être perçu par les autorités comme une subversion.

Dans les pays peu démocratiques, cela peut être perçu comme une opposition politique au régime au pouvoir. Il peut donc y avoir un danger pour les communautés à s'engager dans la voie du tourisme durable.

En outre, les autorités disposent de moyens convaincants pour s'opposer aux communautés : de la simple pression à la répression en passant par tout l'arsenal législatif à leur service. Les Etats peuvent donc se révéler comme des ennemis potentiels du tourisme équitable.

A titre d'exemple, évoquons le cas de Bora-Bora, en Polynésie française, cité par Laurent Ziegelmeyer, Président de l'association polynésienne Hiti Tau. Les actions de tourisme durable entreprises dans cette région se heurtent aux autorités de Papeete et aux autorités locales notamment à la municipalité qui, épaulée par la Lyonnaise des Eaux, prête une oreille beaucoup plus compréhensive aux projets hôteliers de grand luxe.

D'autre part, les entreprises touristiques et particulièrement les multinationales et les très grandes entreprises du secteur privé peuvent également devenir des ennemies potentielles de ce concept. En effet, elles peuvent considérer comme une entrave les critères imposés par ce concept. Notamment car il ne leur permet pas de faire du profit sans contrainte et les oblige à moraliser leur comportement dans le marché du tourisme. Or nous savons que ces entreprises disposent de moyens considérables, au Nord comme au Sud, pour servir leurs intérêts. Nous avons vu qu'elles traitent parfois d'égal à égal avec des gouvernements et nous pouvons donc les considérer comme une menace très concrète si elles décident de s'opposer au concept.

Elles peuvent entre autres choses refuser de référencer les produits de tourisme communautaire. Elles peuvent aussi convaincre les Etats des pays d'accueil de leur confier la gestion de leur tourisme, au détriment des populations locales. Elles peuvent enfin influencer notoirement les consommateurs dans les pays émetteurs en leur proposant des produits attrayants, bon marché mais n'allant pas dans le sens du tourisme équitable.

Il serait à craindre que la mode et les nouveaux courants proposés par les multinationales aillent dans un sens différent de celui que nous préconisons. Nous ne voulons pas affirmer que les modes sont toujours initiées par les grandes entreprises mais il est évident qu'elles ont une influence sur les comportements des consommateurs.

De même, la récupération du concept par ces grandes entreprises serait également un danger important pour le tourisme équitable. Nous avons vu l'utilisation marketing que pouvaient faire les entreprises de ce concept. N'est-ce pas le principal danger qui guette cette idée : être récupérée pour être finalement vidée de son contenu et de son sens ? Ce phénomène, s'il se produisait, ne serait pas le fruit du hasard ni le résultat d'un simple opportunisme de la part des entreprises.

Cette stratégie est déjà une réalité dans les secteurs traditionnels comme l'agro-alimentaire. Prenons l'exemple de la multinationale suisse Nestlé qui utilise l'image d'une mondialisation positive : campagne "Open Up" où des individus de toutes nationalités cohabitent en parfaite harmonie.

Alors qu'en réalité, les agissements de cette compagnie ont maintes fois été dénoncés par de nombreux observateurs comme relevant du colonialisme et de la mainmise sur des pans entiers de l'économie des pays du Sud. Cette multinationale, comme beaucoup d'autres, fait preuve d'un cynisme total et n'hésite pas à revendiquer l'application du commerce équitable alors que la réalité est bien différente (annexe VII).

De même, lors d'un colloque sur le thème Tourisme et Ethique, organisé sous l'égide du Secrétariat d'Etat au Tourisme lors du dernier Salon Mondial du Tourisme à Paris en mars 2002, la directrice de la communication du groupe Club Med n'a pas hésité à déclarer que son entreprise faisait du tourisme durable depuis toujours !

Il n'est pas douteux que dans le futur, des multinationales de tourisme se servent également d'idées humanitaires pour vendre leurs produits (dans un secteur où l'internationalisation fait partie intégrante du produit), sans aucune considération de moralité. Plus que d'utilisation marketing d'un concept "porteur", il faut y voir une véritable volonté de "saper" le concept, de le vider de son sens, pour le rendre inopérant.

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Ce sont là des limites que nous avons répertoriées sans prétendre être exhaustifs. Elles constituent cependant des freins au développement du concept et doivent pour cela être prises sérieusement en compte.

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