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Troisième partie : les limites du concept

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Chapitre deuxième : les limites externes au concept

 

La loi de l'offre et de la demande

Un concept qui ne tiendrait pas compte des réalités du marché et en particulier de la très pragmatique loi de l'offre et de la demande ne pourrait survivre. C'est une vérité essentielle. Or cette loi du marché est la toute première limitation au succès même de ce concept.

En effet, s'il n'y a pas de demande ni d'engouement du public envers l'offre, le concept n'est tout simplement pas viable. D'ailleurs, il n'a été rendu visible, récemment, que parce que la sensibilité du public à ce concept et donc sa demande s'est accrue depuis une décennie environ. Cela est directement lié à une perception plus aiguë des problèmes de notre planète et en particulier des menaces de la globalisation.

Auparavant, les gens étaient moins réceptifs à ces problèmes. Cependant, rien ne prouve que le phénomène devienne suffisamment important pour que le concept soit viable. En effet, comme nous l'avons déjà vu au chapitre précédent, il s'agit pour l'instant encore d'un marché de niche. La majorité de la population continue de s'intéresser uniquement aux voyages les moins chers.

Il faut tenir compte du fait que l'accès aux vacances n'est pas une réalité pour tous y compris dans les pays occidentaux. Dans les faits, seuls 64 % des Français partent en vacances, dont seulement 9,9 % partent à l'étranger (42). C'est parfois un choix mais c'est plus souvent pour des raisons économiques. Car si les voyages se sont beaucoup démocratisés, les destinations étrangères restent encore hors de portée pour de nombreuses familles.

En conséquence, on peut raisonnablement penser que le jour où ces familles auront la possibilité de partir en vacances et de partir à l'étranger, elles se préoccuperont davantage de l'aspect financier que de l'aspect éthique des voyages qu'elles choisiront. En d'autres termes, il faut être dans des conditions économiques optimales pour se préoccuper d'éthique. N'oublions pas qu'il subsiste des frustrations importantes dans nos sociétés et de ce fait, on peut estimer que ces personnes cherchent avant tout à pouvoir profiter de la société de consommation comme les autres, c'est à dire en quantité plutôt qu'en qualité, du moins dans un premier temps.

Nous pouvons également observer les habitudes touristiques passées afin de mieux comprendre comment fonctionne la demande touristique. Dans les années 60 et 70, où s'est produit une véritable explosion de la demande touristique, le public n'avait pas les exigences d'aujourd'hui en matière de consommation. On logeait alors les vacanciers dans des tours, dans des villes de béton (cf. la Grande Motte, Isola 2000) et on ne parlait pas encore de qualité.

Aujourd'hui, des exigences de qualité au niveau des hébergements, des équipements et des activités se font jour peu à peu. Mais pour d'autres familles, le simple fait de partir en vacances est encore un luxe et leur consommation serait, si elle existait, un peu à l'image des vacanciers de l'époque : peu exigeante.

A cet égard, la loi de l'offre et de la demande nous paraît donc être la première règle naturelle qui peut venir freiner l'expansion de cette idée, aussi intéressante soit-elle. Et puisqu'il faut bien parler du tourisme équitable comme d'un marché, ce marché est encore de faible taille et n'est pas amené à croître aussi vite qu'on pourrait le souhaiter.

Si les prévisions s'avéraient plus optimistes, ce dont nous pourrions nous réjouir, d'autres pièges venus de l'extérieur menaceraient inévitablement ce concept. Entre autres, l'utilisation opportuniste que pourraient en faire les entreprises.

Les pièges du marketing humanitaire

C'est vraisemblablement la dérive la plus inquiétante du concept et celle qu'il faudrait surveiller avec le plus d'attention possible. Dans certains cas, elle a déjà commencé, notamment en matière de commerce équitable, plus avancé que le tourisme, comme nous l'avons déjà vu.

En effet, prenons l'exemple de la chaîne de magasins The Body Shop, il est évident que sa croissance fulgurante est en partie due à l'utilisation du concept de commerce équitable. Elle correspond précisément au succès qu'a rencontré le concept en Grande Bretagne où, nous l'avons vu, ces idées sont beaucoup plus développées qu'en France.

L'utilisation des sigles du commerce équitable permet à l'entreprise de se crédibiliser auprès du public qui trouve, en achetant ses produits, l'occasion de se donner bonne conscience. Il est certain que l'emploi des labels du commerce équitable n'est, de la part de la fondatrice de cette chaîne de magasins, Anita Roddick - aujourd'hui écartée du conseil d'administration - pas tout à fait innocente. Et quoiqu'elle dise être concernée par l'environnement de la planète et les conditions de vie des populations dans les pays pauvres, elle a trouvé dans ce concept avant tout un "bon filon commercial" qu'elle exploite à fond.

A partir du moment où les entreprises privées s'emparent du concept, on peut s'attendre à tout si elles ne sont pas suffisamment contrôlées par les pouvoirs publics ou des instances extérieures, situation dans laquelle nous sommes à l'heure actuelle.

Fig. 20 : site Internet The Body Shop, 2002 "Our values"

 

Il est déjà arrivé que des entreprises utilisent des labels du commerce équitable sans qu'il n'y ait rien derrière. C'est notamment le cas avec la multinationale Nike qui, bien qu'elle arbore certains labels de commerce équitable, a refusé de se soumettre à des contrôles externes. Ceci nous permet d'émettre les plus grands doutes quant à son honnêteté. Certaines entreprises à but lucratif n'ont pas beaucoup d'états d'âme et font preuve d'un cynisme étonnant dès qu'il s'agit de profit.

Comme nous l'avons vu plus haut, il y a toujours deux types d'acteurs dans le concept équitable et il est souhaitable qu'il en soit ainsi : les acteurs militants d'une part qui sont souvent des associations à but non lucratif et les acteurs du secteur privé qui reprennent à leur compte le concept.

Nous avons dit dans le chapitre consacré aux entreprises de tourisme qu'il était bon que le secteur privé s'intéresse au tourisme équitable car il ne s'agit pas uniquement de créer quelques produits marginaux pour de rares initiés mais il s'agit plutôt de moraliser toute la chaîne du tourisme.

Cependant, le risque est de voir certains opportunistes se servir de cette idée très porteuse, d'y voir l'avenir de la nouvelle consommation et de la détourner à leur profit. Il serait alors difficile de distinguer d'une part les initiatives "militantes", honnêtes et sincères en théorie, les initiatives du secteur privé mais respectueuses du concept et enfin les initiatives du secteur privé mais tout à fait opportunistes.

Cela finirait par dévaluer le concept, le galvauder à tel point qu'il en perdrait tout son intérêt aux yeux du public. C'est pourquoi il faut veiller à éviter ce genre d'utilisations frauduleuses. Les pouvoirs publics ont sans doute un rôle à jouer dans ce sens car ils sont les seuls à pouvoir non seulement contrôler mais aussi et surtout sanctionner les contrevenants.

En attendant, nous évoluons dans une période dangereuse où tout est permis. On peut d'ailleurs comparer cela au phénomène de la publicité avant que ne soient créées les lois actuelles sur la publicité mensongère et l'organisme de contrôle émanant des professionnels : le BVP (43) ainsi que la déontologie à laquelle se sont astreintes les agences en communication. En effet, à l'époque, un annonceur pouvait tout se permettre dans une publicité. Aujourd'hui les règles sont tellement strictes que les annonceurs se censurent eux-mêmes dès la création afin de ne pas s'attirer les foudres du BVP mais aussi des consommateurs.

D'ailleurs, l'utilisation du concept de commerce équitable et de ses labels dans un but illicite pourrait également tomber sous le coup de la publicité mensongère. N'oublions pas toutefois que les vérifications en matière de tourisme équitable sont particulièrement difficiles à mettre en oeuvre notamment car les produits sont consommés à l'étranger et dans les conditions que nous avons vues plus haut.

Pour le cas de la Charte Ethique du Voyageur que nous avons déjà évoquée à plusieurs reprises, comment vérifier que les articles sont bien respectés par les accompagnateurs et leurs clients ? Nous pouvons donc imaginer qu'Atalante n'est pas de bonne foi et qu'il utilise cette charte pour se faire de la publicité. En l'occurence, nous pensons que ce tour opérateur est un acteur de bonne foi et qu'il a, avec sincérité et honnêteté décidé de se soumettre et de soumettre ses clients à la charte. C'est aussi dans son intérêt car, tour opérateur d'aventures en petits groupes, il doit éviter de gâcher le produit qu'il propose à ses clients.

Mais pour un tour opérateur honnête et qui fait une bonne utilisation du concept, combien peut-on compter d'autres entreprises touristiques malhonnêtes ou peu scrupuleuses ? On a vu des tour opérateurs proposer à leurs clients des prestations de tourisme sexuel, on peut donc imaginer des agents se servant du tourisme équitable pour accroître leurs ventes ou proposer de nouveaux produits à la mode.

C'est sans doute l'un des aspects les plus à craindre de ce nouveau concept et il faudra que ses promoteurs restent vigilants à tout moment.

Enfin, nous recenserons ci-après quelques acteurs ayant éventuellement intérêt ou pensant avoir intérêt à s'opposer au concept.

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(42) Chiffres pour l'année 2001, source : Chiffres Clés, éd. 2001, Secrétariat d'Etat au Tourisme, Direction du Tourisme
(43) Bureau de Vérification de la Publicité

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