Deuxième partie : rendre équitable le tourisme |
Chapitre deuxième : tentative de définition du tourisme équitable |
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Qu'est ce que le tourisme ? Avant de s'intéresser au tourisme équitable, il nous a paru nécessaire de bien montrer en quoi le secteur du tourisme se différenciait non seulement du secteur agricole ou industriel mais encore des autres secteurs de services. Cela permettra de mieux comprendre comment le concept de commerce équitable pourrait être appliqué au tourisme. Essayons préalablement de définir tout simplement ce qu'est le tourisme. La tâche est ardue car il y a plusieurs façons de cerner cette activité. Il existe des définitions concises comme la définition basique de l'OMT qui nous dit que le tourisme est un déplacement hors de son lieu de résidence habituel pour plus de 24 heures mais moins de 4 mois, dans un but de loisirs, un but professionnel (tourisme d'affaires) ou un but sanitaire (tourisme de santé). Il existe aussi des approches comme celle du marketing ou le tourisme est décrit comme un service et à ce titre, obéit aux principales règles des services, mais certaines spécificités le distinguent à plusieurs titres :
On voit que l'activité touristique comporte beaucoup d'impondérables. Difficile à standardiser, difficile à rationaliser, pour autant elle n'échappe pas au phénomène de la globalisation et les grandes compagnies multinationales d'hôtellerie et de tourisme ont quand même réussi dans une grande mesure à mettre au point des produits standards aux quatre coins de la planète. C'est le cas par exemple des chaînes d'hôtels comme Sheraton ou Hyatt qui offrent quasiment le même produit, que ce soit à New York, Tokyo, Jeddah, Casablanca ou Buenos Aires. C'est aussi le cas des catalogues des grands tour opérateurs comme T.U.I. en Allemagne ou FRAM en France qui ressemblent à ceux de la vente par correspondance comme La Redoute pour les vêtements et les accessoires. Sur des centaines de pages, s'étalent les produits de vacances : hôtels-clubs, clubs de vacances, autotours, vols secs, circuits qui semblent complètement standardisés, indépendamment des pays visités. Il n'en reste pas moins qu'il est impossible d'offrir un produit complètement fini et défini dans la mesure où le consommateur participe, comme nous l'avons dit plus haut et dans une grande mesure, à l'élaboration de ce produit. Une implication très forte du consommateur Pour illustrer ce propos, nous citerons le cas d'un circuit type "Villes Impériales au Maroc", proposé à des touristes français, au départ de Paris, et pour lequel nous envisagerons deux scénarios radicalement différents.
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On voit dans cet exemple le rôle que peuvent jouer le hasard, la conjonction d'une multitude de facteurs et l'humeur même des touristes dans le déroulement du circuit. On peut également citer le film "Restons Groupés", sorti récemment sur grand écran et qui raconte l'histoire d'un groupe de touristes français en circuit aux Etats Unis. C'est un scénario catastrophe puisque dès le départ, l'organisateur du circuit ayant fait faillite, le groupe et son guide se retrouvent sans ressources, contraints d'improviser au jour le jour jusqu'à la date de retour. Cependant, malgré cette situation extrême, des conditions de voyage très difficiles et à l'opposé de ce qui était prévu, le groupe va trouver une identité et une cohésion et vivre une expérience unique qui changera la vie de certains des membres. A la fin, on voit les liens très forts qui se sont créés entre les différents participants, une nouvelle façon de voir les choses et, pour certains, un véritable bouleversement. C'est donc bien la perception de la réalité, en un mot le "vécu" qui est prépondérant. Il y a un grand décalage entre le réel et sa perception. Même quand toutes les conditions optimum de confort et de qualité de service sont réunies, le voyage peut être perçu comme un échec total. Il peut également être perçu différemment selon les personnes, à l'intérieur du même groupe et donc à partir de la même expérience. Ceci montre, s'il en était besoin, qu'on ne peut nullement considérer le tourisme comme un produit, ni même comme un service comme les autres. Le produit, c'est à la fois le pays visité, la région, la ville, le site, l'environnement naturel, le patrimoine, l'histoire, les hôtels, les restaurants, les transports, les activités, l'animation touristique, les habitants, leurs coutumes, leurs traditions mais aussi le touriste, son environnement socioculturel, son humeur même. Celui qui ne verrait dans le produit touristique que l'ensemble des prestations commerciales incluses dans le forfait c'est à dire le transport, l'hébergement, la restauration, les activités sportives ou culturelles aurait une vision totalement erronée et réductrice de l'activité touristique. Car le tourisme, c'est aussi la valeur ajoutée constituée par le pays, son patrimoine, son histoire, son animation, ses habitants, leur culture. Cette valeur ajoutée ne fait, la plupart du temps, pas l'objet d'une transaction commerciale et elle est donc offerte au touriste, bien qu'elle constitue parfois l'essentiel du produit. Il est difficile de convenir d'un produit standard quand on parle de tourisme. Des éléments humains et des éléments incorporels et irrationnels y jouent un rôle bien plus important que dans n'importe quel autre service. Or l'approche même de cette activité touristique est délicate car c'est une activité très complexe. Il nous a paru indispensable d'en faire ci-après une approche systémique et non linéaire afin que nos lecteurs puissent en appréhender toute la complexité. |
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Le système touristique Fig. 14 : système touristique |
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L'approche systémique de l'activité touristique : une multitude de paramètres Dans le schéma page précédente, on voit que le nombre d'intervenants est considérable. On les a volontairement regroupés dans des catégories plus ou moins formelles qui sont : - les populations
d'accueil Catégories que l'on peut, à leur tour, regrouper dans 4 grands ensembles :
Notons au passage que cette approche, à l'instar des comptes touristiques des nations jusqu'à ce jour, ne tient pas compte de tous les facteurs connexes au tourisme évoqués en première partie et qui concernent entre autres : les achats d'accessoirres en amont par les touristes (appareils photo, maillots de bain, guides, cartes routières...), la production générée en aval par les séjours étrangers dans les pays d'accueil (l'agro-alimentaire, l'artisanat, l'industrie automobile, la manufacture, les services...). La complexité des interactions Bien entendu, ces catégories sont interdépendantes, dans des proportions qui varient et notamment :
Bien entendu, cette liste d'interactions n'est nullement exhaustive mais elle permet de comprendre que tout le tourisme fonctionne comme un système et qu'en aucun cas, les intervenants ne fonctionnent indépendamment les uns des autres. Et la quantité des intervenants est nettement plus importante que dans une activité comme le commerce ou l'industrie. C'est ce qui explique qu'on ne peut s'intéresser à l'activité touristique que dans son seul aspect marchand, trop limitatif, ni sans regarder et sans évaluer les actions et interactions de tous les intervenants du tourisme. Voilà ce dont il faudra tenir compte pour tenter de définir le tourisme équitable. Le tourisme équitable La volonté d'améliorer le système touristique et le marché du tourisme n'est pas nouvelle. On a beaucoup parlé de tourisme alternatif, de tourisme responsable puis de tourisme durable depuis plusieurs décennies. La notion de tourisme durable est fixée par la Charte du Tourisme Durable, texte élaboré en 1995 par l'OMT (annexe II), selon les principes du développement durable. Ce concept n'est nullement contraire à celui que nous proposons. Dans le chapitre suivant, nous montrons des modèles (28) qui ont été mis en oeuvre selon les principes du tourisme durable, qui fonctionnent toujours aujourd'hui et que nous considérons comme faisant partie du concept de "tourisme équitable". Il s'agit davantage d'un problème de sémantique. Le choix du terme "tourisme équitable" répond à une véritable option de communication. Car toutes les tentatives précédentes de changer le tourisme restent marginales du fait qu'elles proposent davantage des modèles parallèles ou alternatifs plutôt qu'une révision complète du modèle existant. L'originalité du tourisme équitable est d'envisager le problème dans sa globalité, à l'instar du commerce équitable, et de proposer à la fois des modèles car il en faut mais aussi de "moraliser" tout le marché tel qu'il existe actuellement. Mais c'est aussi et surtout d'offrir au public - à tous les publics - un terme générique porteur d'un message fort : l'équité, c'est à dire la justice. Un terme qui ne nécessite pas beaucoup d'explications contrairement à "tourisme durable". Le tourisme équitable est donc un système proposant plus d'équité entre tous les intervenants mais aussi les "acteurs passifs" du tourisme comme les populations d'accueil et leur environnement qui n'ont pas toujours l'occasion de s'exprimer. En reprenant un à un les constats de la première partie, en se basant sur les postulats du commerce équitable ainsi que sur le fonctionnement de l'activité touristique, nous pouvons dégager les critères suivants pour tenter de mieux définir ce que doit être le tourisme équitable : Pour les organismes internationaux
Pour les pays d'accueil
Pour les entreprises touristiques
Pour les touristes
Le tourisme équitable permettrait donc de garantir l'application scrupuleuse de tous les critères précités à l'ensemble de l'activité touristique. Ce système permettrait une répartition juste et équitable des flux touristiques, des recettes du tourisme entre tous les acteurs du marché, tout en minimisant l'impact du tourisme sur les populations d'accueil et leur environnement. *** Nous sommes désormais en mesure d'aborder la partie consacrée à l'essai d'implantation du concept de tourisme équitable dans le marché du tourisme. En effet, nous avons vu quelles étaient les spécificités du secteur touristique par rapport aux autres services, nous avons pu apprécier la complexité des interactions dans le système touristique et nous savons quels sont les criètes permettant de remédier aux conséquences négatives du tourisme, telles que nous les avons décrites en première partie. D'autre part, il ne faudra pas oublier que le secteur non marchand est un aspect important du tourisme dont il faudra tenir compte le moment venu afin de ne pas sous estimer son apport au niveau de la valeur ajoutée. ______________________________________________________________________________________ (28) Voir chapitre suivant, dans le paragraphe sur les pays d'accueil, l'exemple des campements de Casamance, créés dans les années 1970. |