Deuxième partie : rendre équitable le tourisme

retour à l'accueil

Chapitre troisième : appliquer le concept de tourisme équitable aux différents acteurs du marché

 

Nous évoquerons l'application du concept successivement aux différents acteurs du marché tels qu'ils ont été définis par grandes catégories dans l'analyse systémique du secteur touristique, à savoir : les organisations internationales, les pays d'accueil, les entreprises du secteur privé et enfin les touristes.

Les organisations internationales : lobbying efficace

Dans un premier temps, il s'agit de répertorier quelles sont les organisations internationales concernées par le tourisme. Etant donnée la complexité du secteur, on se doute qu'elles sont nombreuses. En effet, et sans prétendre être exhaustif, nous avons listé ci-après les organisations qui sont à l'origine des principaux textes de référence dans le tourisme ou en rapport avec le tourisme, corrélativement avec les démarches à entreprendre dans le cadre du tourisme équitable.

 

Organisation
Textes concernés
Ce qu'il convient de faire
O.N.U.

Déclaration des Droits de l'Homme

Faire respecter le texte

Déclaration des Droits des Peuples Autochtones

Participer à l'élaboration de ce texte. Y introduire la problématique du tourisme

Commission du Développement Durable

Idem

UNESCO

Protection du Patrimoine et de la Culture

Faire respecter le texte
UNICEF

Protection des Enfants

Faire respecter le texte
O.I.T.

Conventions sur les droits des travailleurs et la réglementation de base dans le travail

Faire respecter les textes et faire adopter des textes spécifiques au tourisme
O.M.C.

GATS (29)

Rééquilibrer les termes en faveur des pays les plus pauvres

Banque Mondiale

F.M.I.

Programmes d'ajustement structurel

Faire en sorte que les investissements bénéficient en priorité aux populations
Prêts d'investissements
O.M.T.

Charte du Tourisme Durable

Garantir une application du texte dans les Etats signataires
Code Mondial d'Ethique du Tourisme Influer sur le contenu du Code et faire qu'il soit appliqué
Commission Européenne

Diverses directives

Introduire le tourisme responsable dans les textes

Aujourd'hui il y a au niveau international une réelle prise de conscience éthique et historiquement c'est le Sommet de Rio, sur l'environnement de la planète, en 1992, qui en est à l'origine. Reprises par l'ONU dans sa Commission du Développement Durable, les idées développées à Rio - même si elles furent l'objet de nombreuses critiques - ont permis l'avancée que nous constatons maintenant dans des textes comme le Code Mondial d'Ethique du Tourisme de l'OMT.

De manière générale, il faudrait que toutes les ONG du monde entier travaillant sur la thématique de l'impact du tourisme ainsi que leurs réseaux, puissent collaborer de plein droit sur ces textes. C'est déjà le cas en partie pour certaines organisations internationales où les ONG en question sont naturellement présentes et même sollicitées par l'OMT entre autres. L'exemple de l'élaboration du Code Mondial d'Ethique du Tourisme, adopté par l'OMT en 2000 et co-signé par l'ONU, est à cet égard un exemple édifiant. Ce texte est très important car c'est le premier qui a une valeur juridique et qui s'impose aux Etats signataires. Ce n'est pas le premier texte du genre puisqu'en avril 1995, les participants de la Conférence Mondiale du Tourisme Durable, réunis à Lanzarote aux Canaries, adoptaient la Charte du Tourisme Durable. Ce texte qui était assez précurseur en matière de respect des populations locales n'a malheureusement jamais fait l'objet d'une application au niveau international, ni même d'une diffusion de la part de ses auteurs. C'est l'association française Transverses qui, à son niveau, fut le seul promoteur de ce texte, aujourd'hui enterré par l'arrivée du nouveau texte précité.

Il importait donc que ce nouveau texte soit le reflet des avancées en matière d'éthique et de pratiques responsables. C'est pourquoi le réseau T.E.N. (Tourism European Network) qui regroupe une dizaine d'associations préoccupées par la question du tourisme dans le Tiers-Monde, s'est associé de manière active à l'élaboration de ce texte. La déléguée du TEN, Madame Christine Plüss a été chargée de rédiger les amendements suggérés par le réseau en vue de l'adoption du texte en octobre 1999. En effet, si le texte parlait à l'origine des communautés d'accueil dans le premier article, l'analyse qu'en fait Madame Valayer (30) dans un des bulletins de Transverses Info est que : "...il n'est nulle part question de les [les communautés, ndlr] consulter ou de les associer aux décisions prises en matière de développement touristique. D'autre part, même si, "à compétence égale, l'emploi de la main d'oeuvre locale doit être recherchée en priorité", leur accès à l'information ou leur droit d'expression n'est reconnu ni de la part des instances touristiques ni de celle de leurs propres gouvernements.
Par contre, les "droits" des touristes eux-mêmes tiennent une place importante. Il s'agit surtout de consolider les protections déjà existantes dans les pays comme la France, notamment en ce qui concerne leur information sur les produits, et surtout ce qui a trait à leur "sécurité, la prévention des accidents, leur protection sanitaire et leur hygiène alimentaire", ainsi que les "systèmes d'assurance et d'assistance" et "leur rapatriement".
Les droits des travailleurs sont eux-mêmes assez développés. Tels qu'ils sont décrits, ils sont plutôt adaptés aux travailleurs saisonniers dans les pays du Nord, ce qui est certainement important. Les droits des travailleurs des communautés d'accueil des pays du Sud, très spécifiques, trouveront difficilement leur traduction dans cet article.
Enfin, on peut regretter que la protitution enfantine par le tourisme et d'autres excès ne soient pas mentionnés. (...) Ce qui saute aux yeux, c'est que, alors que la protection des populations locales est présente, sans qu'un partenariat avec elles soit clairement exprimé, le touriste n'est considéré dans ce texte que sous l'angle de ses seuls "droits", mais en aucun cas lui-même comme un partenaire potentiel responsable. Il est toujours inquiétant de voir, comme cela est le cas ici, l'énoncé de "droits" n'être accompagné d'aucune contrepartie en matière de devoirs. Ce silence est d'autant plus regrettable que les rares agences de voyages qui manifestent elles-mêmes la volonté de responsabiliser leur clientèle ne trouveront pas dans ce texte le soutien qui leur aurait été utile. Le touriste reste ici un enfant surprotégé. Les limites à ses caprices ne sont pas précisées. (31)

Ces différentes critiques ainsi que le problème de l'application du texte et du contrôle par un tiers impartial ont été repris dans les amendements proposés par le TEN à l'OMT. C'est un exemple de collaboration entre un organisme international et des ONG de la société civile. Le texte a une grande importance car il sera adopté par l'ONU et aura une valeur juridique. Malheureusement, cet exemple de collaboration n'est pas toujours suivi dans tous les cas de figure.

Toutefois, le TEN travaille activement au sein de la Commission pour le Développement Durable à l'ONU afin que le tourisme ne soit pas oublié dans les textes adoptés. En effet, comme nous l'avons déjà évoqué, le tourisme fait souvent l'objet d'un certain désintérêt et n'est pas toujours pris au sérieux, y compris par les organisations internationales et les ONG. Ceux qui consacrent leurs efforts au développement sont souvent plus préoccupés par les secteurs agricole, industriel ou la formation. Ils négligent parfois de voir l'importance que peut avoir le tourisme tant positive, pour le développement d'un pays que négative, pour les conséquences néfastes qu'ils peut avoir sur ce pays.

C'est pourquoi, il est du devoir des ONG travaillant sur le thème du tourisme de se regrouper au sein de réseaux qui leur assurent une crédibilité et une force de pression sur les organismes internationaux. En France, nous sommes en retard sur nos voisins de l'Europe du Nord. Seule, une poignées d'associations se préoccupe du tourisme dans les pays du Sud. Transverses, associée au réseau RITIMO (32) et membre du TEN, réunit et diffuse une importante information sur le tourisme dans sa relation aux pays du Sud. Le Réseau Jeunes Solidaires oeuvre également au travers de campagnes de sensibilisation et d'université d'été pour un tourisme plus responsable. Enfin, le Groupe Développement, émanation d'Air France, fait le relais de la campagne ECPAT contre l'exploitation sexuelle des enfants. Mais les moyens humains, matériels et financiers dont disposent ces associations sont nettement insuffisants et bien inférieurs à ceux des associations britannique, suisse, allemande ou néerlandaise.

Ceci ne leur permet pas d'agir ni d'être suffisamment reconnues au niveau national notamment. On constate également que les instances gouvernementales françaises ne se sentent pas beaucoup concernées par la problématique du tourisme dans le Tiers-Monde malgré 15,5 millions de séjours à l'étranger (en 2000) et des relations très proches avec les anciens pays colonisés (Maghreb, Afrique, Asie). En effet, la France était très faiblement représentée (33) lors des discussions sur le Code Mondial d'Ethique du Tourisme qui avaient lieu à New York en avril 1999.

D'autre part, outre les textes spécifiquement et explicitement consacrés à l'activité touristique, il existe de nombreux autres textes de référence qui ont trait au tourisme. C'est le cas entre autres du projet de Déclaration des Droits des Peuples Autochtones, en préparation à l'ONU et qui risque de poser de façon très pertinente la question du droit des peuples à disposer d'eux-mêmes et par voie de conséquence, à dire non au tourisme ou à vouloir le gérer à leur manière. C'est un texte primordial et dont il faut suivre de près l'élaboration. En ce qui concerne ce texte, le TEN a réussi à introduire un débat sur la problématique du tourisme, qui a fait l'objet d'un atelier de travail qui s'est tenu à Genève en juillet 1998.

Concernant les conventions de l'OIT sur la réglementation du travail, le tourisme y est cité mais insuffisamment. Il y a donc là aussi nécessité de faire un travail de lobbying afin que les droits des travailleurs du tourisme dans les pays du Sud soient mieux respectés.

Nous évoquerons également les accords du GATS dont nous avons déjà parlé et qui nécessitent un certain nombre d'amendements en faveur des pays les plus défavorisés et les moins préparés devant la menace de globalisation qui pèse sur eux. Même si cela peut paraître insurmontable, il est nécessaire que les associations concernées par le tourisme ne laissent pas le champ libre aux organisations internationales. Il est à noter que certaines analyses (34) estiment que le GATS, sans contenir de dispositions explicites visant à promouvoir le développement durable, est cependant parfaitement compatible avec les politiques nationales à cet égard et trouve sa juste place dans le débat sur le tourisme. Il ne resterait alors qu'à s'assurer de sa bonne application dans la pratique.

Enfin, nous parlerons de la Banque Mondiale qui a fermé pendant plus de 20 années son département tourisme et vient de le rouvrir afin d'envisager de nouveaux prêts d'investissments pour les pays souhaitant développer leur tourisme. Il faut s'assurer que ces prêts se feront dans des conditions de bénéfice pour les populations locales. La Banque Mondiale s'estime "bien placée pour offrir des conseils aux gouvernements soucieux de développer un tourisme qui soit à la fois économiquement et écologiquement viable et qui profite aux populations locales". Reste à s'assurer que c'est effectivement le cas et que les prêts sont entourés de conditions suffisantes.

Au niveau européen, les associations concernées ont également une responsabilité afin que soient repris dans les directives de la Commission Européenne les textes se référant au tourisme et que soit rendue possible leur application par tous les Etats membres. La Direction Générale XXIII, consacrée au tourisme, fait l'objet d'un lobbying intensif de la part des réseaux comme le TEN. C'est elle qui a financé le projet "Fair Trade in Tourism" monté par l'association Tourism Concern, en partenariat avec l'ONG Voluntary Service Overseas et l'Université de North London, et qui a permis de rassembler de nombreux participants au cours de 3 conférences dont la première s'est tenue à Londres en juin 1999 et la dernière à Banjul en Gambie en juin 2002. On voit donc que l'Europe n'est pas en reste sur cette thématique. Ce qu'il faut, c'est être vigilant et veiller à ce que les droits des communautés réceptives soient dûment inscrits dans tous les textes adoptés.

Nous voyons donc que l'implantation du tourisme équitable au sein des organisations internationales est essentiellement une question de lobbying. Seuls des groupes de pression organisés et décidés peuvent réaliser cette tâche immense. C'est leur responsabilité de ne pas laisser le champ libre aux seules entreprises et aux Etats dont les intérêts, nous l'avons déjà vu, ne sont pas toujours compatibles avec ceux des populations et de l'environnement des pays d'accueil.

Les pays d'accueil : de l'aide, pas d'assistance

La problématique de l'implantation du tourisme équitable dans les pays d'accueil tient à la dualité de la notion de pays d'accueil.

En effet, on peut considérer que le pays d'accueil est représenté par son gouvernement. C'est ce que font les instances internationales et c'est aussi pourquoi, nous l'avons vu, le droit des populations et le respect de l'environnement ne sont pas toujours garantis par les textes qui sont adoptés.

On peut aussi considérer que ce sont uniquement les populations qui représentent les pays d'accueil en ce sens qu'elles devraient être consultées et associées étroitement au développement et à la mise en valeur touristique de leur pays. Or, concrètement les populations ne représentent que rarement les pays d'accueil car c'est le plus souvent la voix de leurs gouvernements qui se fait entendre.

Nous devons donc tenir compte de cette dualité et du fait que les intérêts des uns et des autres sont souvent divergents voire inconciliables. D'autre part, vouloir à tout prix tenir compte de l'avis des populations est souvent considéré par les Etats des pays comme une ingérence dans leurs affaires. Il importe donc de collaborer dans la mesure du possible avec les autorités locales. Nous entrevoyons là toute la difficulté de la tâche.

Il nous faut entre autre chose être conscients que le niveau d'implication des populations locales dans le processus de décision en matière de développement touristique dépend directement du niveau de démocratie qui règne dans le pays. Plus un pays est démocratique, plus la population prend part aux décisions prises dans les domaines la concernant.

Le pire exemple pouvant être illustré par la dictature Birmane - déjà citée - où la population n'a aucune voix pour se faire entendre et où le gouvernement pratique les travaux forcés et exploite le peuple pour faire entrer des devises grâce au tourisme. Lesquelles devises serviront à renforcer la dictature militaire au pouvoir.

Il existe autant de situations que de régions concernées. Il faut donc envisager de travailler dans tous les cas de figure : du blocage complet - où la réponse peut parfois appeler le boycott de la destination (cas de la Birmanie) - jusqu'à la collaboration et le partenariat dans le cas où la démocratie est assurée.

Il s'agit donc de renforcer, partout où cela peut l'être, le processus démocratique. Cela est du ressort de la pression politique et du devoir des populations elles-mêmes. Mais dans tous les cas, il faut être conscient de cette réalité afin d'offrir aux communautés concernées une information pertinente.

Parfois, les Etats eux-mêmes, sans aller jusqu'aux populations, peuvent avoir besoin et sont demandeurs de protection au niveau international contre les méfaits du tourisme et la mainmise des multinationales. Le tourisme équitable doit pouvoir répondre à cette demande. Les pays du Tiers-Monde doivent s'unir et s'organiser pour d'une part, lister les conséquences négatives dont ils sont l'objet sur le plan du tourisme et d'autre part, proposer les solutions qu'ils préconisent au cas par cas.

Mais c'est aussi en pratiquant simultanément un lobbying intensif auprès des entreprises touristiques reponsables de ces pratiques et en influençant l'opinion publique des pays du Nord que l'on verra une avancée significative dans ce domaine. Ceci est vrai pour tous les acteurs du tourisme. Ce n'est qu'en agissant en même temps sur tous les leviers que l'on pourra faire avancer cette idée de tourisme équitable.

Au niveau des populations d'accueil que nous appelerons ici "communautés" (35), nous allons montrer ce qui pourrait et devrait être fait, de manière pratique et concrète, à leur niveau, afin de développer les pratiques de tourisme équitable.

Il existe déjà de nombreux exemples, certes très confidentiels mais néanmoins tout à fait probants, de tourisme durable à travers le monde. D'autre part, de nombreux organismes au Nord comme au Sud, publics comme privés, s'attachent à développer une modélisation de l'aide au développement du tourisme durable.

L'OMT a publié il y a quelques années le "Guide à l'usage des planificateurs locaux pour le développement d'un tourisme durable". Cet ouvrage permet de répondre simplement aux multiples interrogations que peuvent se poser les promoteurs de projets touristiques réceptifs. Il est conçu de telle manière qu'il peut permettre à des gens de toutes conditions de trouver les réponses adéquates pour le développement de projets touristiques durables.

Il y a de nombreuses initiatives privées dans ce domaine, souvent du ressort des ONG. Notamment des ONG de développement qui se sont trouvées confrontées à la problématique du tourisme même si ce n'était pas a priori leur domaine d'intervention. Car souvent le tourisme s'impose naturellement comme un moyen de fournir des revenus complémentaires notamment de l'agriculture ou d'autres activités traditionnelles.

La première difficulté que rencontrent les communautés réside dans leur manque d'accès à l'information et à la formation. Or les ONG en Occident disposent des informations utiles et bien souvent des structures de formation adéquates. Le point le plus délicat se trouve donc être davantage la formulation précise du projet.

Pour répondre à ce problème, l'idéal serait qu'un interlocuteur originaire de la communauté tienne lieu de porte-parole et d'interface entre cette communauté et les ONG occidentales pour aider à la formulation et à la conception du projet. A défaut, un coopérant peut jouer ce rôle mais il est toujours préférable que l'initiative revienne aux populations locales afin d'assurer la pérennité du projet. Dans une seconde phase, il sera nécessaire que cet acteur puisse identifier des responsables locaux suffisamment écoutés par la population pour pouvoir mettre en oeuvre les projets.

En 1974, le gouvernement du Sénégal, aidé par l'Agence de la Francophonie, lance en Casamance le concept de "tourisme rural intégré", destiné à "associer les populations rurales aux activités touristiques sans déséquilibrer leur environnement socioculturel". Dix neuf campements totalisant 400 lits ont été aménagés et ont rencontré un vif succès jusqu'en 1990, date à laquelle la rébellion en Casamance a gelé toute activité touristique dans cette zone. Aujourd'hui, seul le campement de Palmarin, à l'écart de cette région, fonctionne et témoigne du succès de la formule qui a trouvé sa clientèle, "des gens issus pour la plupart de mouvements associatifs, qui ont un esprit communautaire et qui cherchent à connaître les autres à travers leur vie quotidienne", explique Abraham Mbye, chef du service du tourisme rural intégré au ministère. Ils sont médecins, enseignants, éducateurs, étudiants, routards...
Pour lancer le campement, 11 cases (20 lits) en paille ont été construites par les villageois eux-mêmes avec l'aide de la coopération française qui a apporté 3 millions de francs CFA. Aujourd'hui le campement compte 37 cases (dont 34 en dur), soit 70 lits. Chaque case porte le nom d'un animal ou d'un oiseau dessiné sur les murs à côté du numéro. Au bord de la mer, bar, réfectoire et pergola sont installés. Pour s'éclairer, on utilise l'énergie solaire grâce à un don d'un projet sénégalo-allemand. En pleine saison, les recettes moyennes tournent autour de 80.000 francs CFA par mois. Ici, gardiens, lingères et autres employés du campement ont pu construire leur maison en dur, ce qui n'est pas rien.
L'activité touristique a généré d'autres emplois, notamment dans la pêche, jusqu'ici négligée faute de pirogues et de matériel d'équipement. Ces emplois permettent aujourd'hui de fixer au village les jeunes ruraux. Un groupement d'intérêt économique gère trois pirogues. Le campement en a d'ailleurs acquis une. "En huit mois, elle nous a procuré près de 900.000 francs CFA" affirme le responsable. C'est l'équivalent du revenu annuel de trois paysans et de leur famille dans cette zone où l'agriculture reste la principale activité.(36)

A Bali en Indonésie, Madame Ida Ayu Agung Mas est à l'origine de l'expérience "Sua Bali" qui consiste à accueillir des touristes dans de petites maisons traditionnelles au sein du village et de leur permettre de vivre au rythme des Balinais tout en découvrant la région et ses multiples attraits. Le concept permet aux touristes d'être logés dans un authentique village et de participer pleinement à la vie de ses habitants ; notamment en apprenant à cuisiner ou à parler l'idiome local mais aussi en découvrant la région à l'aide des habitants qui s'improvisent guides pour l'occasion. L'originalité du projet réside dans le prélèvement d'une "taxe" de 1 $ par touriste qui alimente un fonds destiné au financement de projets de développement pour le village.

Les difficultés que rencontrent les communautés pour concrétiser leurs projets tiennent, nous l'avons vu, à la formulation du projet, à sa conception mais aussi à son financement et enfin à sa commercialisation auprès de la clientèle occidentale.

Là encore, les ONG ont un rôle primordial à jouer car les pays du Nord ne prennent pas toujours leurs responsabilités vis à vis des pays qui reçoivent leurs propres ressortissants et sont souvent leurs anciennes colonies. Les ONG pallient donc comme elles le peuvent, souvent avec succès, ces carences. C'est ainsi que certaines prennent en charge la formation sur place ou en Europe des porteurs de projets touristiques ainsi que l'aide à la conception et à la réalisation des projets. Elles mettent également en place des formules de crédit originales comme les placements éthiques ou encore les micro-crédits. Ces initiatives se font souvent en partenariat avec des ONG du pays d'accueil qui aident à la fois à mieux sélectionner les projets, à assurer un suivi ainsi qu'à donner un aperçu des réalités locales. Dans tous les cas, il semble qu'il soit préférable qu'une association locale soit systématiquement associée au projet afin d'éviter les décalages qui peuvent survenir entre la bonne volonté des ONG du Nord et les besoins des communautés du Sud.

 

En Côte d'Ivoire, Olivier Chabrol, ancien cadre dans une compagnie pétrolière et membre de l'association Ingénieurs Sans Frontières, a développé, en compagnie de ses amis africains, un concept novateur basé sur une découverte progressive du pays pour les touristes.

Le séjour "Djembé" est divisé en deux modules correspondant à une progression dans la connaissance du pays. Le premier module de 8 jours "Akwaba", est appelé module d'acclimatation car il permet aux touristes de s'adapter en douceur aux réalités africaines. Les étrangers sont logés dans un petit hôtel côtier au confort simple et participent à des causeries-débâts et des ateliers d'artisanat. Des excursions sont prévues. Le deuxième module de 8 jours "Fotamana" intégre les touristes dans un village typique du pays sénoufo avec activités artisanales et participation aux diverses activités du village. Le logement est plus rudimentaire puisqu'il est le même que pour les populations locales.

L'idée est séduisante et le projet bien préparé puisque toute inscription entraîne un week-end de préparation en France avant le départ, afin de "mieux appréhender les conditions du séjour et de commencer à construire la cohésion [du] futur groupe". C'est un projet qui peine à être rentable pour le moment mais qui donne une idée de ce que peuvent faire les communautés seules ou avec l'aide de coopérants.

 

Bien sûr, les gouvernements locaux font également beaucoup pour l'aboutissement des projets communautaires dans la limite de leurs propres intérêts. Au Maroc, on a vu la mise en place des micro-crédits, initiés par l'ancien ministre de l'économie en 1997 et qui ont connu un grand succès. Ces crédits portant sur des sommes que l'on peut considérer comme dérisoires, puisqu'elles vont de 1.000 à 10.000 dirhams (environ 100 à 1.000 €), se sont avérés très utiles pour nombre d'entreprises personnelles dont les promoteurs n'avaient pas les moyens de leurs modestes ambitions. Ils ont non seulement permis de créer le poste de travail de leur entrepreneur mais parfois d'autres emplois et ont rompu le cercle vicieux de la pauvreté.

D'autre part, l'argument mis en avant et qui n'est pas des moindres, c'est que ces crédits, quoique basés sur la confiance puisqu'il n'y a aucune garantie, sont remboursés dans la majorité des cas. C'est également une forme d'aide qui a permis à beaucoup de femmes de trouver un moyen d'existence salutaire et nous ne saurions trop insister sur la nécessité de favoriser et de développer par tous les moyens ces aides que nous considérons comme très positives car il ne s'agit pas d'assistance.

Nous évoquions plus haut les placements éthiques ; ceux-ci sont souvent distribués sous la forme de micro-crédits mais, vu du côté des investisseurs, c'est l'aspect moral du placement qui est mis en avant. De plus en plus de gens en Occident, préfèrent que leur argent fructifie pour une bonne cause. On constate également que ces valeurs se tiennent plutôt bien en période de récession boursière.

Enfin, la difficulté la plus fréquemment rencontrée, une fois résolu le problème de la conception et de la réalisation du projet, c'est celle de la commercialisation. C'est dans cet aspect que l'application du tourisme durable reste le plus aléatoire. Car il ne suffit pas d'avoir un bon produit, il faut aussi avoir des clients potentiels, les convaincre et finalement, leur vendre ce produit.

Or qu'en est-il de ces projets de tourisme communautaire ? Jusqu'à présent, ils ont été confinés à un marché de niche et se sont adressés à une minuscule cible de gens déjà sensibilisés aux problématiques des pays du Sud, souvent parce qu'ils étaient eux-mêmes membres d'une association humanitaire ou de solidarité internationale.

C'est le cas des séjours et des circuits vendus par le CEVIED (37) depuis plusieurs années et qui s'adressent essentiellement à des enseignants, des membres d'associations ou des coopérants du développement. Les ventes suffisent à peine à équilibrer les frais et le CEVIED survit avec difficulté car son produit reste trop confidentiel. D'autre part, cette association créé elle-même ses propres produits et ils ne sont pas à l'initiative des communautés même si elle veille scrupuleusement à ce qu'ils s'inscrivent dans les critères de la Charte du Tourisme Durable et qu'ils bénéficient aux populations locales.

D'autres associations comme ARVEL ou La Burle ont dû, pour survivre, soit faire des compromis avec leurs principes, soit abandonner leurs activités. On voit donc que la viabilité de telles initiatives n'est pas du tout assurée. Ceci dit, comme pour le CEVIED, aucune de ces associations n'a jamais cherché à commercialiser les produits qui étaient à l'initiative des pays réceptifs.

Il serait peut être intéressant de voir si une agence basée sur la commercialisation de produits originaux entièrement gérés par les populations locales pourrait rencontrer un écho favorable en Europe. L'initiative reviendrait alors au Sud et permettrait d'éviter le schéma trop classique : décision au Nord, exécution au Sud.

D'autre part, ces associations sont déjà anciennes et aucune n'a vraiment évolué avec son époque. Notamment, elles sont restées dans leur ensemble assez repliées sur elles-mêmes et n'ont pas cherché à se regrouper en réseau. De là vient peut être l'erreur. Car pour qu'un tel concept soit viable, il faut qu'il soit largement diffusé.

A cet égard, on peut citer l'exemple de la chaîne britannique de magasins de cosmétique The Body Shop, fondée par Anita Roddick sur le concept de commerce équitable et qui, pour populariser le concept, s'est considérablement appuyée sur les ONG comme OXFAM et les réseaux du commerce équitable. Malheureusement, en 2001, la fondatrice et son mari ont été écartés du conseil d'administration de la société et on peut craindre un glissement vers un concept moins éthique et plus marchand.

C'est l'une des raisons pour lesquelles nous pensons que l'idée de tourisme équitable est porteuse dans la mesure où elle offre une conceptualisation, une thématique, facile à décliner et surtout identifiable par des logos, des labels, des étiquettes. Car il faut tenir compte des méthodes modernes de marketing, et ne pas rester à l'écart des voies qu'empruntent avec succès les entreprises à but lucratif. Le succès commercial repose aujourd'hui sur un concept fort, clairement défini, déclinable, identifiable et actuel.

Les ONG du tourisme et du commerce équitable ont peut-être pour vocation d'aider les entrepreneurs privés à se fédérer autour d'idées communes et de leur offrir la labellisation - ou tout autre forme - dont ils ont besoin pour apporter une crédibilité à leur commerce auprès du grand public. L'idéal serait que les communautés des pays d'accueil puissent se passer d'intermédiaires et commercialiser directement leurs produits dans les pays émetteurs. Ce serait un renversement de la situation actuelle où, nous l'avons vu, ce sont les entreprises des pays émetteurs qui viennent, chez eux, gérer leurs propres produits.

L'idée, aussi originale soit-elle, n'est pas complètement idéaliste car des initiatives comme celle de Max Havelaar, qui est un succès commercial, montrent la voie à suivre. Cette initiative de vendre du café équitable dans la grande distribution montre que non seulement les pays du Sud peuvent commercialiser leurs produits directement mais en plus que cela est tout à fait rentable et pour un surcoût assez faible par rapport à un café non équitable de qualité équivalente.

 

Max havelaar : une autre forme de consommation,
de relations Nord / Sud, d'organisation d'entreprises

Max Havelaar est une association créée en 1988 en Hollande pour favoriser le commerce équitable de café.

Elle s'est étendue en Belgique, Suisse, Grande Bretagne, Allemagne, France. Une initiative comparable a été créée, sous le nom de Transfair, au Japon. Elle part des constats suivants :

  • Un nombre croissant de consommateurs souhaitent non seulement acheter un produit, en l'occurence du café, mais un produit et une relation : du café en contribuant à l'amélioration de la situation des producteurs des pays en voie de développement.
  • L'efficacité suppose que les consommateurs aient un accès large à ces produits / relation : le commerce alternatif doit se développer au sein du commerce "normal".
  • Les intérêts à long terme des producteurs du Tiers-Monde, des consommateurs, du commerce et de l'industrie coïncident. Tous les acteurs, importateurs, torréfacteurs, distributeurs, doivent jouer leur rôle, en coopération, sur la base d'intérêts convergents.

Le choix d'organisation :

  • Ne pas créer d'entreprise nouvelle, mais respecter le rôle de chaque maillon de la chaîne producteur / consommateur
  • Etre un médiateur faisant agir l'ensemble des acteurs de façon cohérente vers un but commun. Pour cela, création d'un label qui suppose le respect de conditions spécifiques par les différents acteurs

Ainsi les torréfacteurs doivent notamment :

  • Garantir un prix minimum d'achat,
  • Accorder au producteur des facilités de crédit en début de saison,
  • Etablir avec les producteurs des contrats à long terme.

Les producteurs doivent notamment :

  • Ne pas dépendre structurellement de main d'oeuvre externe,
  • L'organisation doit être contrôlée démocratiquement par ses membres qui décident notamment de :
  • L'affectation des surplus de revenu,
  • L'organisation doit rester ouverte à l'affiliation de nouveaux membres,
  • L'organisation doit encourager la polyculture pour réduire la dépendance par rapport au café.

L'association, non seulement régule l'ensemble de l'action, mais agit à partir de celle-ci, notamment dans les écoles pour davantage sensibiliser les consommateurs.

Les parts de marché en 1998 :

Hollande : 2,7 % - Suisse : 5 % - Danemark : 2 % - Allemagne : 1 %

 

Mais jusqu'à aujourd'hui, les communautés du Sud doivent encore compter sur l'aide des ONG occidentales. D'autre part, ces ONG sont souvent les seules garantes contre les dérives qui se produisent parfois avec les entreprises à but lucratif. Elles offrent beaucoup plus de garantie de moralité. Par contre, elles présentent souvent l'inconvénient de ne pas posséder toutes les qualités requises notamment de rigueur, de professionnalisme, pour la gestion de tels projets.

En matière de tourisme, pour le moment, il n'y a quasiment aucune entreprise de ce genre mais il se pourrait que les choses se développent rapidement (cf paragraphe suivant sur les entreprises). L'association britannique Tourism Concern contribue à aider les communautés à commercialiser leurs produits en mettant à la disposition du public une liste de communautés proposant des séjours et des circuits touristiques. Cette liste est mise en ligne sur leur site Internet.

Ceci nous amène à parler de l'Internet comme étant probablement un des meilleurs moyens dont disposent aujourd'hui les communautés du Sud pour proposer, faire connaître et vendre leurs produits aux consommateurs du Nord. En effet, cet instrument qu'on a pu présenter - faute de le connaître - comme un symptôme de la globalisation est aussi, assez paradoxalement, une des meilleures réponses à ce phénomène inéluctable.

Aujourd'hui, concrètement et grâce à ce réseau, il est possible de mettre en ligne pour une somme tout à fait modique, des produits locaux dont le marché était autrefois limité à une ville ou à un quartier. Les revues économiques abondent d'exemples. L'une d'entre elles citait le cas de ce petit épicier du Nouveau Mexique qui, aux Etats Unis, a centuplé son chiffre d'affaires en mettant en ligne les sauces pimentées artisanales qui faisaient sa renommée dans le quartier.

A condition de ne pas ménager ses efforts pour faire soi-même la promotion de son site ou encore de se regrouper sur des sites fédérateurs, on peut espérer donner une dimension planétaire à une activité autrefois cantonnée à un marché local. Les Etats et les collectivités peuvent jouer un grand rôle en permettant à de petits acteurs locaux de mettre en ligne leurs produits sur leur serveur.

En France, les propriétaires de gîtes ruraux se sont très vite mis sur Internet, que ce soit seuls ou par l'intermédiaire de l'association des Gîtes de France ou encore sur le site du Comité Régional ou Départemental de Tourisme, ou encore sur le site de la mairie de leur commune. Le coût d'une telle opération est très modeste quoique le prix moyen d'un site commercial ait beaucoup augmenté depuis l'apparition des premiers sites en 1995.

Voilà certainement une idée très porteuse pour les communautés des pays du Sud. Devant l'Internet, un certain rééquilibrage s'est opéré, précisément en faveur des petits acteurs. On constatait d'ailleurs au début de l'Internet que beaucoup de petits acteurs avaient su mieux tirer parti de l'Internet que bien des grosses entreprises ayant des moyens considérables.

Fig. 15 : site personnel de logement chez l'habitant à Cuba http://perso.wanadoo.fr/turismo.caribe/

Ces remarques sont également valables pour les gouvernements des pays défavorisés. Car l'ouverture et la maintenance de bureaux de tourisme dans les pays émetteurs est extrêmement coûteuse pour ces pays. Et encore faudrait-il ouvrir des bureaux dans toutes les grandes villes d'Europe pour toucher la cible dans son intégralité. Tandis qu'avec un site Internet, quoique qu'il faille encore posséder ou avoir accès à un PC et à une connexion, on pourra toucher beaucoup plus de monde et pour un coût bien moindre.

D'ores et déjà, on peut constater en naviguant sur Internet que ce ne sont pas les pays les plus riches qui possèdent les meilleurs sites. Prenons l'exemple du site de la France qui est davantage une vitrine reflétant la brochure en papier glacé qu'on distribue à l'Office de tourisme. Et prenons aussitôt celui du Maroc qui, s'il n'est pas parfait, offre néanmoins beaucoup plus d'interactivité puisqu'on peut y télécharger des recettes de cuisine, des extraits de musique traditionnelle des régions du Maroc, des images de costumes traditionnels ou encore des photographies de tapis marocains et même des ressources en ligne pour les brochures des tour opérateurs programmant le Maroc. Voilà une idée peu coûteuse qui peut s'avérer très efficace.

Fig.16 : site Internet du Maroc permettant de télécharger ou d'imprimer des images, photos, recettes, extraits de musiques traditionnelles http://www.mincom.gov.ma

Les entreprises du secteur privé : des alliées indispensables

Par entreprises du secteur privé nous entendons toute la chaîne du secteur marchand, depuis l'agence de voyages jusqu'au guide accompagnateur en passant par le tour opérateur, le transporteur, l'agence réceptive, l'hôtel ou encore le loueur de voitures.

S'ils sont tous dans la même catégorie, leur activité consistant à vendre des prestations touristiques, cependant leurs intérêts sont divergeants et certains subissent l'exploitation des autres. On ne peut donc pas les considérer comme une entité cohérente.

Nous distinguerons donc les entreprises émettrices des pays du Nord et les entreprises réceptrices des pays du Sud en rappelant que ces dernières exploitent elles aussi à leur tour leurs employés ou leurs sous-traitants (taxis, guides, etc.) et qu'on ne peut pas les ranger uniformément du côté des acteurs responsables.

En commençant au début de la chaîne, du côté des marchés émetteurs, on trouve donc de plus en plus souvent de grands groupes internationaux qui, comme nous l'avons exposé en première partie, ont tendance à se regrouper pour devenir encore plus grands.

Or la particularité de ces grands groupes, bien qu'ils soient avant tout très puissants, c'est d'être aussi très sensibles à leur image de marque et finalement très fragiles quant à leur réputation auprès de leurs publics. C'est là qu'il convient d'agir et d'ailleurs la plupart d'entre eux s'intéressent de près aux idées nouvelles en matière d'éthique et de comportement responsable parce qu'ils sentent bien que les temps changent et qu'ils se doivent d'offrir toujours plus de transparence et de rendre des comptes à leurs publics.

Tous les grands groupes touristiques internationaux, notamment au Nord de l'Europe, sont plus ou moins engagés dans une réflexion sur l'éthique, l'environnement, l'impact du tourisme. Citons le cas du plus gros tour opérateur européen, l'allemand T.U.I. qui finance une fondation pour l'environnement - thème cher aux Allemands - et organise chaque année une conférence sur ce thème.

 

Ce que fait TUI pour un meilleur environnement sur les lieux de vacances

"Un environnement intact est la condition indispensable pour de belles vacances. TUI reconnaît depuis des années sa responsabilité dans ce domaine et agit en conséquence. Le Dr Wolf Michael Iwand, chargé de mission pour l'environnement, et son équipe travaillent en collaboration avec les services du Groupe TUI sur place, ainsi qu'avec des experts et des écologistes, avec les pouvoirs publics et les partenaires hôteliers pour des vacances encore plus propres.

Nous prenons cette mission très à coeur. Nous analysons l'état des lieux de vacances proposés par TUI et les classifions selon leur caractère environnemental. Nous commençons par le contrôle de la qualité des plages et des eaux de baignade, l'inspection des stations d'épuration et des décharges, puis nous vérifions les mesures d'économie d'eau et d'énergie prises dans les hôtels, etc. La protection des espèces, des animaux et de la nature, le reboisement et l'utilisation d'énergies renouvelables sont aussi des thèmes importants que nous traitons intensivement dans le cadre de notre travail environnemental. Lors des années passées, ce contrôle continu a permis de suivre le développement durable des différents lieux de vacances et de soutenir les responsables du tourisme et les autorités nationales en leur prodiguant des conseils.

Lors de nos "missions environnement" sur place, nous devons faire preuve de grande diplomatie. Pour remédier à des situations délicates - par exemple dans le cas d'une station d'épuration hors d'usage ou d'une décharge sauvage - nous devons mener un grand travail de persuasion. Nous convions des responsables du tourisme, des représentants des pouvoirs publics, des hommes politiques locaux et des hôteliers à une "table ronde" afin de trouver ensemble des solutions. Lors de séminaires avec nos partenaires hôteliers, nous leur apportons des suggestions et de l'aide pour une gestion hôtelière respectant l'environnement et favorisons le benchmarking et les mesures de certification. Outre nos missions sur les lieux de vacances, notre travail pour l'environnement nous conduit aussi à conseiller les hôteliers et à collaborer avec des compagnies aériennes, de chemins de fer et d'autocar, ainsi qu'à discuter de la protection de l'environnement au sein de notre propre société et à former nos collaborateurs des services internes et externes.

Suivant la devise de notre entreprise "Nous nous engageons pour la protection de l'environnement", nous avons développé un système pour remplir efficacement notre mission de protection environnementale en unissant nos forces : un réseau de collaborateurs engagés a été constitué dans toutes les directions de l'entreprise. Ces personnes font progresser le travail sur le thème de l'environnement dans leurs domaines d'activités. Nous coopérons aussi quotidiennement avec des groupes de protection de l'environnement, des associations professionnelles, des universités et des experts scientifiques." (extrait du site Internet de T.U.I. http://www.tui.de)

En Allemagne encore, un groupement de professionnels du tourisme a commencé, en partenariat avec l'Etat, à mettre au point une charte écologique touchant à tous les domaines de l'activité des entreprises : depuis les photocopieurs et l'installation électrique du siège social jusqu'au respect de la nature dans les pays d'accueil.

En France, les entreprises s'avèrent un peu plus timorées dans ce domaine mais le tour opérateur n° 1, Nouvelles Frontières propose dans sa brochure depuis plusieurs saisons déjà des produits de tourisme durable émanant de petites communautés de pays du Sud. C'est le cas du projet Pranamaya, initié par une Française et un Guatémaltèque.

Le tour opérateur d'aventure Atalante a mis au point une Charte Ethique du Voyageur en collaboration avec l'éditeur de guides touristiques Lonely Planet et les magazines Trek et Grands Reportages. Cette Charte s'impose à tout voyageur ayant choisi Atalante ; il doit la signer et s'engager à en respecter les principes. Christophe Leservoisier, manager d'Atalante reconnaît que ce n'est pas une tâche facile que de faire respecter cet engagement aux clients durant le voyage. Certains touristes, enthousiastes au départ, étaient refroidis par la suite lorsqu'on leur avait demandé de ne pas photographier les gens du pays sans leur accord !

Jusqu'à présent, l'expérience la plus probante - car le sujet est suffisamment émotionnel pour rencontrer un large consensus - c'est celle de la campagne ECPAT (38), relayée en France par le Groupe Développement et qui s'est rapidement imposée y compris dans le milieu professionnel, sur ce douloureux problème de la prostitution enfantine due au tourisme. C'est un succès aussi car elle est en grande partie financée par la compagnie Air France et qu'elle a d'emblée rencontré un écho parmi l'ensemble de la profession étant donnée la teneur de la campagne. Aujourd'hui on peut voir des insertions d'ECPAT dans les brochures des tour opérateurs ou les sites Internet des agences comme ci-après. Des étiquettes bagages et des autocollants ECPAT sont distribués dans les agences de voyages, des films sont projetés à bord des avions à destination des pays les plus touchés pour sensibiliser les touristes et l'on peut dire que la campagne est un succès.

Fig.17 : exemple du site du groupement d'agences de voyages AFAT Voyages qui relaie la campagne d'ECPAT

Mais on ne peut se contenter de ces avancées toutefois incontestables et surtout, on ne peut s'en remettre à la seule industrie touristique pour édicter les critères à respecter. Les initiatives publiques sont souvent plus fiables, car lorsqu'une entreprise met en place seule un tel système, qui est garant de son honnêteté ou de son efficacité ? On ne peut être à la fois juge et partie, il faut des outils de contrôle externes et indépendants.

Les entreprises ont besoin de labels mais de labels crédibles. Les ONG ne pourront pas indéfiniment être les seules promotrices et gestionnaires de ces labels. Tôt ou tard, les autorités devront s'y impliquer. Mais il est vrai que pour l'instant, c'est dans une certaine confusion que se font toutes les initiatives qui ont vu le jour.

D'autre part, les codes de conduite (39) émanant des autorités publiques ont été jusque là remarquablement discrets sur l'impact du tourisme dans les pays récepteurs. Ils se concentrent davantage sur :

  • Les droits des consommateurs et la protection de ceux-ci contre les abus des professionnels du tourisme
  • La protection des communautés de leur propre pays
  • La protection de l'environnement
  • Les règles de conduite écologiques

 

 

Au Maroc, je travaillais dans une agence réceptive spécialisée dans la clientèle japonaise et extrême-orientale. Nous recevions des groupes de touristes et avions toujours une copie du programme. Or les circuits commençaient généralement en France, se poursuivaient en Espagne puis se terminaient au Maroc. Le programme pour l'Europe nous arrivait sur la même feuille que le programme pour le Maroc. Nous pouvions lire les règles française ou espagnole concernant les chauffeurs d'autocar : ceux-ci ne pouvaient conduire plus de 8 heures d'affilée, devaient s'arrêter toutes les heures et avoir une interruption nocturne d'au moin 10 heures ; une chambre leur était réservée à l'hôtel avec les clients. Par contre, au Maroc, les clients trouvaient normal que le chauffeur marocain soit à disposition y compris pour les sorties nocturnes et qu'il dorme parfois dans l'autocar pour économiser une chambre d'hôtel. Ayant suggéré à plusieurs reprises d'aligner les conditions de travail des chauffeurs marocains sur celles des européens, je me suis toujours entendue dire que notre client n'était pas tenu de remplir des obligations qui n'étaient pas imposées par les lois locales.

 

Il n'est guère question des communautés des pays du Sud ni des dégâts qu'elles peuvent subir de la part des ressortissants des pays du Nord. Tout reste à faire dans ce domaine mais là encore, il faut rappeler que c'est d'un système que l'on parle et que le Code Mondial d'Ethique du Tourisme, adopté récemment par l'ONU va probablement s'imposer aux différents Etats signataires et engendrer des Codes Nationaux - comme c'est déjà le cas pour la France - reprenant les idées développées.

On le voit, c'est donc surtout sur une institutionnalisation des codes de pratique qu'il faut miser. Il faut envisager de renforcer l'existant et d'introduire davantage de critères sur le respect des populations et des régions d'accueil et faire en sorte de les imposer massivement aux entreprises touristiques. Cela ne signifie pas pour autant qu'il faille nier tout le travail fait par les entreprises elles-mêmes. Il est intéressant et souvent en avance sur ce que font les autorités.

Il faut s'attacher à développer une série de partenariats entre d'une part les autorités, d'autre part les entreprises et inclure également les ONG. Car les entreprises peuvent devenir, dans un cadre délimité par les pouvoirs publics, les principales alliées d'un concept comme celui du tourisme équitable. En effet, les entreprises du secteur privé sont très réactives et les moyens humains, matériels et financiers dont elles disposent leur permettent d'être très efficaces quand elles y mettent de la bonne volonté.

La problématique est assez différente lorsqu'on considère les entreprises réceptrices. Elles sont localisées sur un pays d'accueil, rarement internationales, donc moins importantes et par là-même, moins sensibles à l'opinion publique. D'autre part, l'opinion publique des pays d'accueil est moins développée que dans les pays occidentaux, moins organisée.

Il paraît donc hasardeux de vouloir appliquer les critères du tourisme équitable à ces entreprises et ce sont pourtant elles qui tiennent entre leurs mains une part non négligeable du produit touristique destiné aux Occidentaux. Ce sont elles notamment qui font travailler les hôteliers, les guides, les interprètes, les chauffeurs indépendants de taxis, de minibus, les compagnies de transport, les restaurants... Et comme dans le secteur industriel, ce sont souvent elles qui exploitent les petits employés du tourisme.

Bien entendu, ces entreprises ont rarement un accès direct aux marchés dans les pays du Nord ; le plus souvent, les clients arrivent par l'intermédiaire des entreprises émettrices. C'est donc par là qu'il faudra agir. Il faut faire pression sur les intermédiaires du tourisme pour que leurs "sous-traitants" appliquent eux aussi les critères du tourisme équitable envers leur propres employés et leurs sous-traitants.

C'est ainsi que le réseau du commerce équitable a réussi à faire éliminer l'exploitation des enfants dans la fabrication de chaussures de sport. Car les entreprises américaines concernées avaient commencé à répliquer aux procès d'intention qu'on leur faisait : "nous ne sommes pas responsables de cette situation, ce sont les entreprises locales qui sont coupables d'exploitation envers les enfants". L'opinion publique et la pression des médias les ont contraints à changer de stratégie en arguant que le responsable, c'est celui qui est à l'autre bout de la chaîne, en l'occurrence le consommateur mais aussi tous ceux qui participent directement ou indirectement à ce commerce.

Il en est de même dans le tourisme. Un tour opérateur ne devrait pas être tenu dans l'ignorance des conditions de travail d'un chauffeur d'autocar ni, s'il est au courant des pratiques illégales, fermer les yeux sous prétexte que la législation du pays réceptif est moins regardante que celle de son pays d'origine.

Il ne faut pas trop compter sur la bonne conscience des entreprises pour pallier les carences législatives des pays d'accueil. C'est donc là encore du ressort de l'opinion publique, du lobbying, de la pression à la fois sur les gouvernements et sur les entreprises privées pour que soient appliqués les droits de base partout dans le monde.

Rappelons que certaines personnes n'hésitent pas à justifier la prostitution enfantine en Thaïlande au prétexte qu'elle fait partie des coutumes locales ! Il n'y a pas de traditions, pas de coutumes qui méritent d'être conservées lorsqu'elles bafouent ainsi les droits essentiels des êtres humains.

Enfin, nous pensons utile de rappeler que c'est surtout dans le cadre de partenariats bien compris que l'on pourra faire évoluer les coses. C'est d'ailleurs l'un des critères que nous suggérons pour le tourisme équitable que de développer des relations de confiance, dans la durée, à travers des partenariats entre le Nord et le Sud, au niveau même des entreprises. Car un bon accord, c'est un accord où toutes les parties trouvent leur intérêt.

Il serait donc tout à fait intéressant de favoriser des partenariats entre tous les intervenants du tourisme afin que chacun puisse exprimer son opinion et ne se sente pas lésé par les termes de l'accord. Bien entendu, c'est encore une idéal qui n'est atteint quasiment nulle part mais il faut le proposer comme un exemple à suivre.

Les touristes : former et informer

Il y a plusieurs aspects dont il faut tenir compte quand on s'intéresse au grand public. Tout d'abord il faut éduquer le public pour qu'il améliore son propre comportement en tant que touriste afin de minimiser l'impact négatif sur les pays d'accueil dont il est directement responsable. C'est un aspect propre au tourisme et dont les promoteurs du commerce équitable n'ont pas tenu compte puisque le consommateur final n'intervient pas dans la production des biens de consommation.

Enfin, il faut l'amener à avoir un jugement critique par rapport à la chaîne commerciale touristique. Il faut qu'il puisse s'interroger et choisir en toute connaissance de cause le tour opérateur, l'agent de voyage ou l'hôtelier dont le comportement est également responsable. C'est une problématique que le tourisme a en commun avec le commerce équitable.

Or un touriste, c'est avant tout un citoyen. Le "touriste" n'est qu'un état transitoire qui dure le temps des vacances, le temps du séjour. Etant donnée l'importance du sujet traité et l'ampleur que prend le tourisme dans le monde, nous pensons qu'il est primordial de ne pas s'adresser uniquement au touriste dans l'exercice de son activité.

Il nous paraît nécessaire de chercher à toucher le touriste quand il est encore un enfant sur les bancs de l'école, un citoyen dans son pays d'origine. C'est la seule façon de faire évoluer la situation : il faut une approche globale. D'ailleurs, nous l'avons déjà vu : le touriste n'est pas une personne très réceptive et lorsqu'il est en condition de voyager, il est parfois beaucoup moins sensible qu'il ne le serait dans son pays d'origine.

Il est souvent plus facile de s'émouvoir devant son poste de télévision durant le journal télévisé, derrière l'écran, que lorsqu'on se trouve dans les rues d'une ville du Tiers-Monde où l'on cherche essentiellement à se protéger.

Nous pensons qu'il est donc essentiel de s'adresser au touriste avant qu'il n'en soit un ; c'est à dire qu'il faut s'adresser au grand public, ici, en Occident, dans son cadre quotidien et familier.

La première approche est constructive et positive. Il s'agit de former les citoyens de demain à une plus grande sensibilité à l'égard des pays visités. Pour cela, il faut s'adresser très tôt aux enfants, dans les écoles. Certains pensent que les classes de découverte qu'on envoie à grand frais en Afrique sahélienne pour aller à la rencontre des enfants du pays dans leur vie de tous les jours constituent une réponse à cette question.

Nous avons recueilli à ce sujet l'opinion de Mme Dora C. Valayer, Présidente de l'Association Transverses. Elle ne pense pas que ce soit une bonne solution pour sensibiliser nos jeunes aux aspects du Tiers-Monde et que, bien au contraire, ces pratiques renforcent l'inégalité. En effet, on envoie en Afrique noire des petits Français en sachant pertinemment que les petits Africains ne pourront pas faire le déplacement en France. Les enfants ne sont pas suffisamment informés des conditions de vie et du comportement qu'il convient d'adopter. Souvent on joint à ce voyage une action de bienfaisance consistant à offrir des livres ou d'autres biens matériels. Ces cadeaux sont la plupart du temps inadaptés aux réalités locales. Les petits Français suscitent l'envie et l'admiration de leurs camarades Africains et tout cela créé bien des frustrations. Les enfants auront vu leurs camarades Africains dans des conditions qui peuvent être jugées comme humiliantes et nul n'aura tiré avantage d'un tel voyage.

Elle recommande plutôt une formule de classe verte où seraient réunis enfants des écoles et membres des communautés immigrées en France afin de sensibiliser les premiers à la culture des seconds. Cette solution regroupe plusieurs avantages :

  • un coût nettement inférieur à celui des voyages à l'étranger
  • les immigrés ne sont plus dans une situation d'infériorité : ils sont sur le sol français et dans une situation d'invités et donc d'égalité avec les enfants
  • leur culture est valorisée mais dans le cadre d'animations et d'autres activités
  • les enfants ne sont pas placés dans une situation trop difficile à vivre, étant logés dans une structure de type colonie de vacances à égalité avec les immigrés
  • il n'y a pas de charité

Or cette proposition nous a semblé particulièrement intéressante. En effet, nous avons sur notre sol suffisamment de nationalités pouvant représenter pratiquement tous les pays susceptibles d'être visités par les touristes. En outre, ce projet a l'avantage d'atteindre simultanément deux objectifs : celui de sensibiliser les enfants aux coutumes étrangères en vue d'un éventuel voyage mais aussi celui de les amener à respecter les étrangers qui vivent sur notre propre sol. C'est donc une initiative très porteuse à ce titre.

Ce n'est pas la seule voie que nous recommandons. Les éducateurs dans des pays comme l'Allemagne ou l'Angleterre ont développé des matériels pédagogiques novateurs où le tourisme est décortiqué à travers textes, récits de voyages ou encore brochures d'agences afin de mieux sensibiliser les enfants à tous les effets pouvant en découler. Ces matériels sont développés en collaboration avec les enseignants, l'administration scolaire et les ONG ayant le tourisme pour thème de réflexion. C'est ainsi que l'association suisse allemande Arbeitskreis Tourismus und Entwicklung propose aux enseignants germanophones un pack éducatif intégré aux programmes scolaires (expression de la langue) mais qui permet en même temps de réfléchir sur la problématique du tourisme dans les pays du Sud.

Dans ce domaine, la France est encore à la traîne et repose trop sur la seule bonne volonté des enseignants de parler ou non de la problématique du tourisme en cours d'année scolaire. Il serait utile que le Ministère de l'Education Nationale prenne en compte ce sujet et accepte de l'intégrer, d'une manière ou d'une autre, dans le corps des programmes scolaires, sans les alourdir davantage mais en permettant que ces problèmes soient évoqués, dans le cadre d'une matière scolaire classique.

Concernant le citoyen adulte, il est plus délicat à contacter car il n'est plus sur les bancs de l'école. La question qui se pose est donc : où et comment toucher le citoyen et à quel coût ? Car le coût a son importance. Une campagne de sensibilisation grand public (donc mass media) pèse plusieurs dizaines de millions d'euros et qui en supportera les coûts, sachant que notre problématique n'est pas toujours la priorité des pouvoirs publics ou des entreprises du secteur privé ?

Nous évoquerons donc ici la campagne négative c'est à dire la campagne de dénigrement ou de boycott. Généralement plus facile à mettre en oeuvre et mieux relayée par les media, ce type de campagne présente pourtant des inconvénients. On ne peut pas toujours donner mauvaise conscience au public, il faut aussi savoir valoriser les gens. Enfin, il faut un sujet très médiatique pour lancer une telle campagne. Par exemple, une dictature militaire (cas de la Birmanie) ou le tourisme sexuel (campagne ECPAT). Il est donc difficile de sensibiliser le public aux multiples méfaits du tourisme de masse au travers d'une telle campagne qui sera donc limitée à des thèmes très "voyants".

Fig. 18 : facsimilé d'un tract de campagne de boycott de la Birmanie - collectif d'ONG

 

Ceci nous amène d'ailleurs à noter à quel point le concept lui-même est complexe à communiquer. Tant qu'il s'agit de prostitution enfantine, pas besoin d'explications compliquées ; mais lorsqu'on veut évoquer les déplacements de population, les restrictions en ressources naturelles pour les populations locales ou plus difficile encore, la destruction des traditions locales, comment s'y prendre ?

 

Fig. 19 - Campagne Histoires d'Eau - Réseau Jeunes Solidaires + Transverses

Certaines ONG font des efforts louables pour mettre ces situations sous forme de dessins humoristiques mais, publiés dans leur revue, elles n'ont qu'une diffusion confidentielle et ne s'imposent pas au grand public. Il est donc très délicat d'envisager la diffusion du concept au niveau du public et c'est pourtant en influant sur la demande qu'on risque de voir le phénomène prendre vraiment de l'ampleur. Car, comme nous l'avons vu, les entreprises du secteur privé réagissent surtout à l'image de marque et à l'opinion publique. C'est ce que nous enseigne l'expérience du commerce équitable.

Faut-il donc envisager de s'en prendre aux entreprises privées afin de les mettre devant leurs responsabilités, notamment au travers de campagnes de dénigrement ? Faut-il commencer par s'en prendre aux plus grandes d'entre elles, les multinationales pour dénoncer leurs pratiques abusives puis, par des exemples positifs comme celui du tour opérateur Atalante, les convaincre de se convertir au tourisme responsable ?

Nous pensons qu'il convient de se battre simultanément sur plusieurs terrains. Mais l'opinion publique risque en effet d'être assez sensible à une campagne consistant à mettre en cause une entreprise pour son action néfaste sur un pays du Sud. D'un autre côté, une attitude plus positive et surtout plus diplomatique consisterait à contacter les entreprises en question et à leur proposer une collaboration pour un projet de communication à l'intention de leur public.

Cette communication pourrait se faire de manière tout à fait positive par l'entreprise, en partenariat avec des spécialistes du tourisme responsable et de l'environnement, pour montrer que l'entreprise en question s'intéresse activement à la problématique du tourisme équitable. Les entreprises participeraient ainsi à leur niveau à l'édification du public, tout en donnant une image institutionnelle positive d'elles-mêmes.

En outre, nous pensons primordial de mettre en place un organisme d'observation de l'opinion publique au moyen de sondages, ainsi que cela a été fait pour le commerce équitable (40) et pour le tourisme sexuel impliquant des enfants. Il conviendrait de surveiller régulièrement l'évolution de la sensibilité du public à la problématique du tourisme équitable. Or aucune structure de ce genre n'a encore été mise en place et cela est pourtant urgent.

 

L'opinion des Européens sur le tourisme sexuel impliquant des enfants

Extraits de la présentation synthétique des résultats

  • Une proportion importante (85 %) des personnes interrogées se sont déclarées conscientes du problème
  • Le tourisme sexuel impliquant des enfants est perçu en Europe comme étant lié à la pauvreté (72 %), aux abus sexuels commis sur des enfants (55 %), au trafic international d'enfants (49 %), à l'exclusion sociale (37 %) et aux formes extrêmes de travail des enfants (25 %).
  • Les Européens expriment une condamnation morale pratiquement unanime (92 %) de cette pratique jugée "illégale" par 88 % d'entre eux, avec une proportion légèrement inférieure (74 %) lorsque la définition inclut les actes commis en dehors du territoire des Etats membres.
  • Une proportion peu élevée mais significative des personnes interrogées (4 %) affirme avoir dû faire face en vacances au problème du tourisme sexuel impliquant des enfants
  • Le fait d'apprendre que leur destination de vacances est un lieu où un tourisme sexuel impliquant des enfants est notoirement organisé suffirait à dissuader la moitié de la population de l'U.E. (54 %) de s'y rendre. Beaucoup d'Européens (69 %) exigeraient que les services fournis ne soient liés, en aucune manière, à cette pratique et un nombre plus important encore d'entre eux (74 %) se montreraient très prudents s'ils s'y rendaient.
  • Pour lutter contre le tourisme sexuel impliquant des enfants, considéré par 63 % des Européens interrogés comme un problème pouvant être largement "évité", la priorité est donnée à la répression (38 %) et la prévention (36 %) qui viennent avant l'aide aux enfants victimes (22 %).

Commission Européenne - Direction Générale XXIII, L'opinion des Européens sur le tourisme sexuel impliquant des enfants, Présentation synthétique des résultats d'une enquête Eurobaromètre, juillet 1998, 29 pages, cité dans la revue Le Courrier n° 175 mai-juin 1999.

Enfin, nous voudrions ici parler de la formation des professionnels du tourisme car nous pensons qu'eux aussi sont un maillon important de la chaîne du tourisme. Ils ont un rôle primordial à jouer dans la sensibilisation de leurs clients. Or dans les formations, il n'est jamais question de l'impact que peut avoir cette activité sur l'environnement ou sur les populations des pays visités. C'est le client qui est décortiqué dans tous ses aspects : sociologie du touriste, sociologie de la demande, typologie de la clientèle, client-roi. Quant aux éventuels méfaits du tourisme de masse, ils ne sont pas inscrits aux programmes. A une exception près, le programme développé conjointement par ECPAT et l'Education Nationale pour les programmes des B.T.S. tourisme concernant le thème du tourisme sexuel et mis en place à la rentrée de septembre 2001.

Depuis l'automne 1995, un "enseignement parallèle" est mené en section de préparation au B.T.S. Tourisme à l'Ecole Nationale de Commerce de Paris. Cet enseignement (...) se déroule dans le cadre des ATA (Actions Touristiques Appliquées) sous le nom de "Tourisme, Tiers-Monde et Développement" au rythme de deux ou trois séances de 1 à 2 heures par trimestre. Les thèmes retenus sont : 1. Tourisme et droits de l'homme 2. Recherche de documents et repérage de quelques cas précis 3. Tourisme et minorités ethniques (écotourisme et ethnotourisme). Et le travail se fait sous forme de recherches, d'exposés oraux et de devoirs écrits. L'inscription aux modules est libre car ces travaux ne sont pas intégrés aux programmes et c'est autant de travail en plus pour les étudiants. Le plus important est la qualité de travail, du regard, de la réflexion, de l'ouverture d'esprit, la prise de conscience d'une éthique. Le module est validé sous la forme d'un stage pratique. Cette initiative a déjà conquis 20 % des étudiants ce qui tendrait à démontrer l'intérêt qu'il suscite parmi eux. (source : Transverses Info n° 16, janvier 1999)

Par ailleurs, une initiative intéressante a été développée par M. Gérard Rovillé, ethnologue de formation, enseignant à l'Ecole publique de tourisme de Bessière. Cette initiative, mise en place en accord avec la Directrice de l'établissement s'est pourtant heurtée à l'incompréhension totale des collègues de M. Rovillé et a trouvé ses limites lors des examens, quand les candidats au B.T.S., faisant état de ce qu'ils avaient appris avec leur professeur, se sont trouvés pénalisés par les correcteurs pour avoir développé des arguments "ne faisant pas partie des programmes" (sic).
Bien entendu, cela ne représente qu'une avancée timide. Il y a en France plusieurs dizaines d'écoles préparant au B.T.S. de tourisme et bien d'autres établissements délivrant différents diplômes de 1er, 2nd ou 3ème cycle.

Mais nous pensons que cela pourrait se généraliser si des propositions concrètes étaient faites aux enseignants et aux responsables d'établissements et pourquoi pas, encore une fois, en collaboration avec d'une part les entreprises du secteur privé et d'autre part les ONG ?

***

Nos lecteurs auront compris que ceci n'est qu'une façon d'envisager l'application du concept à l'ensemble de l'activité touristique. Nous aurions pu choisir d'autres angles d'approche et notamment une approche Nord / Sud ; mais celle-ci aurait également été réductrice car la problématique n'est pas la même pour tous, y compris dans les pays du Sud. En effet, comme nous l'avons vu, les acteurs du Sud peuvent également avoir un comportement dommageable pour leurs propres populations et environnement ou avoir des pratiques abusives les uns envers les autres.

D'autre part, il est évident que ce dernier chapitre suggère un grand nombre d'interrogations quant à la crédibilité d'un tel concept. Sa viabilité même est en cause ainsi que les nombreux obstacles à son application au secteur touristique. C'est le propre de tout concept nouveau.

Nous souhaiterions ici, d'emblée, évoquer les aspects les plus évidents de ces restrictions, qu'elles soient internes ou externes et des obstacles qui se présentent, afin d'envisager son application de manière réaliste.

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(29) General Agreement on Trade in Services, texte similaire au GATT mais pour le secteur des services
(30) Présidente de l'association française Transverses, membre du T.E.N.
(31) Cité dans Transverses Info n° 18, juillet 1999 in Code Mondial d'Ethique du Tourisme, p. 3
(32) Réseau d'Information sur le Tiers-Monde - 21 ter, rue Voltaire, 75011 Paris - Tél. 01 44 64 74 14
Fax. 01 44 64 74 55 - ritimo.voltaire@globenet.org - site Internet : http://www.ritimo.org/
(33) Une seule représentante du Secrétariat d'Etat au Tourisme était présente. La Secrétaire d'Etat au tourisme, Madame Michèle Demessine, pourtant invitée, n'a pas fait le déplacement à New York et ne s'est pas fait représenter.
(34) C'est l'opinion personnelle de Dale B. Honeck, membre du secrétariat de l'OMC et conseiller à la Division du Commerce
(35) Communauté est ici pris dans le sens d'un groupe de personnes originaires de la même région et ayant en commun des objectifs quant à la problématique du tourisme pour leur région
(36) D'après la revue Grain de Sel n° 10 - juillet 1998 - autre source : thèse de Mohamed Mouhyiddine Kane "Le tourisme rural intégré" : étude des aspects socioculturels du tourisme rural au Sénégal, Université de Genève, Faculté des sciences économiques et sociales, département de géographie, nov. 1994
(37) CEVIED - 8 quai Maréchal Joffre - 69002 Lyon - Tél. : 04 78 42 95 33
(38) End Child Prostitution, Child Pornography And Trafficking in Children for sexual purpose (en français : mettre fin à la prostitution, à la pornographie et au trafic des enfants à des fins sexuelles) - site Internet : http://www.ecpat.net
(39) source : P. Mason & M. Mowforth, Codes of Conduct in Tourism, Department of Geographical Science, University of Plymouth, 1995
(40) Sondage CRC Consommation pour un commerce équitable

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